Je suis encore assassiné !

 

L’assassinat du sieur TROTOBAS à Marseille, juin 1837.

 

Ce fait divers a marqué les esprits des marseillais et a été abondamment relaté par la presse régionale et nationale. Les journaux suivants ont été mes sources pour cette reconstitution, ils sont accessibles sur le site Retronews.

 

·        Le Sémaphore de Marseille

Le Sémaphore est le plus ancien journal de Marseille, ses premières éditions remontent à 1827. Il fut créé par Joseph François Feissat et Pierre Alexandre Henri Demonchy. Au départ, généraliste, il se spécialisa par la suite dans le monde maritime. Il avait ses locaux au 17, Rue Venture. Condamné pour avoir continué de paraître sous l’Occupation, il disparaîtra à la Libération.

·        La Gazette de France

C’est un périodique créé en 1631 par Théophraste Renaudot, sous le nom de Gazette, l’un des plus anciens journaux publiés en France. Au XVIIème siècle, elle était tirée à 8000 exemplaires à Paris et diffusée en province sous 35 éditions. À l’époque qui nous intéresse ses positions légitimistes font baisser le tirage. Après quoi elle changera plusieurs fois de propriétaires et cessera ses activités en 1915.

·        La Presse

C’est un quotidien lancé en 1836 par Émile de Girardin qui se dit un journal « quotidien, politique, littéraire, agricole, industriel et commercial ». Passé ensuite entre de nombreuses mains, il cessera ses activités en 1952.

·        La Gazette des tribunaux

C’est un quotidien paru en 1825, qui se consacre aux audiences des tribunaux et aux nouvelles judiciaires. Elle contient 4 rubriques : justice civile, justice criminelle, chroniques judiciaires, annonces légales. C’est une source très intéressante pour les historiens, et constitue une sorte de répertoire de l’histoire criminelle de son époque. Nombre de romanciers y ont puisé leur inspiration.

·        La quotidienne (1815-1847)

Lancé en 1792, par Joseph François Michaud, c’est un journal royaliste. Il changea de nom plusieurs fois avant de retrouver en 1814 son nom initial ; en 1847 il fusionne avec La France et l’Écho français pour fonder l’Union monarchique.

 

Articles consultés :

Le Sémaphore de Marseille, vendredi 2 et samedi 3 juin 1837

La Gazette de France, 9 juin 1837

La Presse, 8 octobre 1837

Le Sémaphore de Marseille, 12 janvier 1838

La quotidienne, 18 janvier 1838 

Le Sémaphore de Marseille, 4 juin 1837


Jean Alexandre Trotobas est né en 1796 à Toulon, il est le fils de Jean Louis et de Thérèse Victoire Bachelon, il est marié avec Marie Anne Armand. À l’époque des faits, il est installé à Marseille, il est artisan relieur de livres. Il habite sur le Vieux Port (actuellement Quai du Port), 39, place Neuve et sa boutique se trouve non loin de là, 23, rue de la Coutellerie. Il a  un fils, Antoine, âgé de 21 ans, travaillant avec lui et un autre, Jean Baptiste Emmanuel, âgé de 11 ans.

 

En 1834, il avait employé Pio Gaetano Paracciani, dans sa boutique. Cet italien, âgé de 26 ans, natif de Forli, logeait rue Vacon chez Mme Scotti. Il travailla 3 mois puis retourna dans son pays où il eut quelques déboires politiques et revint à Marseille en novembre 1836. Il reprit son emploi chez le sieur Trotobas, mais celui-ci le congédia au mois de mars 1837, on n’en connaît pas les raisons. Il employa une autre personne pour le remplacer. Paracciani en fut très affecté, au point de provoquer en duel son employeur, qui refusa.

 

Le 1er juin au matin,  Paracciani,  passe devant la boutique et Trotobas lui adresse quelques mots, à quoi il répond : « Tu n’as pas besoin de tant blaguer, nous nous reverrons ailleurs. » En effet, ils allaient se revoir, et de près. Le lendemain, très tôt, Paraciani rencontre à nouveau Trotobas, veut s’expliquer, lui propose une fois de plus un duel que Trotobas refuse encore. Quelques heures plus tard, nouvelle rencontre sur la Place Neuve et Trotobas refuse toujours le duel : c’est alors que Paracciani le poignarde à plusieurs reprises, 7 fois selon la presse qui décrit avec détails chaque blessure.  La foule se saisit de Paracciani et le remet aux forces de l’ordre. Trotobas survivra à ses blessures. Paracciani dira que le poignard se trouvait dans sa poche afin que sa logeuse n’ait pas connaissance qu’il le possédait. Il prétend donc ne pas avoir prémédité son geste.  Les observateurs le disaient résigné lors de son séjour en prison. Il sera condamné aux travaux forcés à perpétuité. Le 8 octobre 1837, il sera exposé au poteau (pilori) sur la place de la Canebière, de 10 heures à 11 heures du matin. Nous lisons dans La Presse du 8 octobre « La contenance de Paracciani exprimait un profond abattement, il tenait sa figure cachée dans ses mains. »

 

La presse et l’opinion s’emparent de cette affaire qui fait grand bruit. Dans le numéro du 2/3 juin 1837, Le Sémaphore de Marseille donne à lire ce commentaire :

« Est-ce ainsi qu’un réfugié politique a cru reconnaître l’hospitalité qu’il recevait de la France ? Dès qu’un étranger met le pied sur notre terre de haute civilisation, ne doit-il pas briser, s’il est italien, le poignard, arme du lâche, que dans son pays, de coutumes atroces, il portait, comme le meurtrier de samedi, à la ceinture de son pantalon. » 

À la suite de quoi, la communauté des Italiens résidant à Marseille fait paraître dans le même journal une lettre de réponse, s’indignant des généralisations abusives faites par l’auteur de l’article. Le Sémaphore de Marseille répond en faisant amende honorable mais en mettant en avant la réaction de l’opinion, très sensible quand des délits sont commis par les personnes accueillies en France.

« L’Italie ne peut être représentée comme exerçant le monopole de l’assassinat. Certes une pareille imputation ne pourrait nous être faite à nous, surtout, qui avons pour la portion éclairée de ce pays, une estime à laquelle des malheurs politiques, la haine de l’oppression étrangère, le vif sentiment des arts et la douceur des mœurs donnent d’incontestables droits ; mais des exemples qui se reproduisent même chez nous de la part de quelques nationaux italiens, prouvent bien évidemment qu’un reste de barbarie conseille encore dans des moments où le sentiment de la vengeance arrive au plus haut point de son exaltation, l’usage du poignard ; et c’est ce reste de barbarie que nous avons voulu flétrir…. Notre population, dont nous avons traduit les sentiments, est révoltée toutes les fois qu’elle apprend qu’une rixe a fait recourir au poignard. »

 

Malheureusement, l’histoire ne s’arrête pas là. Nous sommes en janvier 1838 et, le 18, on annonce le décès du sieur Trotobas, dans des circonstances tout aussi dramatiques que ne l’avait été sa première tentative d’assassinat. Le 10 janvier exactement, au moment où le sieur Trotobas ferme sa boutique, rue Coutellerie, deux hommes l’attendent. Alors qu’il s’apprête à regagner son domicile, au niveau de la pharmacie Roux, il est à nouveau poignardé. Les deux hommes s’enfuient, le pharmacien lui porte secours mais il est trop tard. On peut lire ceci dans Le Sémaphore de Marseille du 12 janvier 1838 :

« M. Roux ouvre la porte de sa pharmacie et voit M. Trotobas qui s’avance vers lui, il croit qu’un nouveau guet-apens le menace, et se hâte de le saisir par sa veste, afin de le mettre vite à l’abri de quelques coups de mort, dans sa boutique. Trotobas fléchit les genoux, se redresse et il dit : ‘Je suis encore assassiné !’ Il était voué aux poignards ! M. Roux l’asseoit sur une chaise, et tandis qu’il se met en devoir de le soigner, Trotobas vomit un peu de sang et expire, ce n’était plus qu’un cadavre. »

 

Malgré la venue immédiate des forces de police et la recherche active de l’assassin, l’enquête n’identifie pas les responsables. Ce jour-là, la presse évoque deux suspects italiens arrêtés à Aubagne et mentionne les menaces de vengeance ayant été proférées suite à l’arrestation de Gaetano Paracciani. Elle y ajoute la menace du commissaire de police central de la ville de Marseille.